Tatie, je suis fatiguée d’être femme…

Article : Tatie, je suis fatiguée d’être femme…
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7 novembre 2022

Tatie, je suis fatiguée d’être femme…

À 19 ans, j’avais déjà la fatigue d’être femme.


« Tatie, je suis fatiguée d’être femme ». J’aurais bien aimé dire cette phrase à une époque. Malheureusement, je n’en ai pas eu le courage. Je n’en ai pas eu le courage devant une tante qui, après la mort de mes deux parents à l’âge de 3 ans, m’a pris sous sa responsabilité comme une mère; devant elle qui est toujours prête à me crier dessus, à me frapper avec tout ce qui se trouve sous sa main (un balai, une chaussure…). Je n’avais pas la capacité d’avouer ma fatigue d’être femme à cette tante qui honore, au quotidien, le culte de la féminité. En effet, j’ai toujours préféré la hurler au fond de moi. Elle résonnait, retentissait. Je la ressentais dans tout mon corps.

Ma perception de cette phrase


À cette époque, je considérais cette phrase comme une simple formule pour supplier Tatie ; lui faire comprendre à quel point j’étais fatiguée de suivre ses préceptes. Je ne voyais en celle-ci ni la colère ni la rébellion. Bien au contraire, je m’imaginais agenouillée à ses pieds, comme le font les pèlerins aux pieds d’une statue. Je me voyais crier pour qu’elle me comprenne une seule fois dans sa vie. Car, pour moi, depuis mon enfance et jusqu’à aujourd’hui, pleurer n’est pas un signe de lâcheté comme le prétendent les autres. C’est un moyen de parler aux autres, de me livrer en faisant ressentir mes moindres blessures. C’est pourquoi, je ne me cache jamais pour pleurer et je pleure à chaque fois que je veux que les gens me comprennent.


Dire à Tatie ma fatigue d’être femme n’était pas pour moi un signe de non-respect. Mais, c’était la meilleure façon pour moi de lui dire que j’en ai marre de cette performance ; que je ne suis pas douée pour être femme. Elle n’aurait pas besoin de m’injurier pour que je mette un soutien-gorge. J’aime bien mes seins ! Je n’aime pas les étouffer dans un morceau de tissu qui me met mal à l’aise. Les voir tirer sous mon maillot quand je marche me procure une sensation de bien-être. C’était pour lui dire aussi que ses propos me saoulent : « Emilie tu dois apprendre à laver, à repasser, à préparer une poule, un canard, un pigeon afin de mieux prendre soin de ton mari, demain. »


Toutes ces exhortations à apprendre à tout faire ; à apprendre à cuisiner toutes les volailles de la nature juste pour faire plaisir à un mari me donnent la nausée. Car, à mon avis, apprendre à cuisiner ou à faire le ménage serait un moyen de me rendre autonome, pour ne pas avoir besoin tout le temps d’un travailleur ou d’une travailleuse domestique. Je ne me voyais pas apprendre tout ça juste pour devenir la nounou d’un homme.


Dire que je suis fatiguée d’être femme, c’était une façon de dire à Tatie que j’ai le droit de dire si je me marie… Elle n’avait pas besoin de me forcer de tenir un propos affirmatif pour m’épargner du sort de la nature. Puisque, moi, je ne considère pas le mariage comme un passage obligé. Je crois que la vie ne tient pas à cela, c’est juste un choix ! Je ne voulais pas me contraindre à répondre à ces injonctions sociales… Je voulais le crier !


Je suis fatiguée d’être femme : la fameuse phrase que je n’avais pas eue la force de prononcer. Elle voulait dire que je peux rêver d’autres choses qu’un bon mari, un enfant… que j’ai le droit d’être ambitieuse, de rêver grand ; que je peux avoir une sexualité épanouie. Pas question de garder mon hymen pour le mariage pendant que mon corps brûle d’envie.

J’ose le dire


Je n’avais pas la capacité de dire tout cela à Tatie. Aujourd’hui, à mes 23 ans, j’ose les cracher à la société. C’est pas facile. Mais je le fais. Je le fais grâce à mes lectures sur la question du Genre et mes débats dans des cercles féministes qui ont forgé ma conscience; qui m’ont permis d’avoir une définition de la femme différente de celle que Tatie m’a apprise.

L’attribution de la femme au soin, au ménage c’est un stéréotype que nous devons combattre. C’est ce que je suis en train de faire en hurlant ma fatigue. Et je n’ai nulle envie de supplier la société pour qu’elle me comprenne ; pour qu’elle m’enlève toutes ces leçons pour devenir Femme, parce que j’avais conservé la phrase trop longtemps en moi. Et aujourd’hui, elle devient une forme de rébellion, un moyen de dire « non » aux rappels à l’ordre sexué qu’on nous répète chaque jour et à la dictature de la féminité idéale.

Crédit : Istockphoto
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Commentaires

ArtMhel 🌸
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Intéressant ton article !
Ouais ce n'est pas là le problème que d'apprendre à faire tout ça. Mais c'est dans l'objectif qu'on veuille que l'on aprenne à le faire. Sinon ça va. Le ménage , les tâches, toutes personnes devraient apprendre à les faire pour être autonome comme tu dis. Car après tout, une travailleuse domestique c'est aussi une femme et elle peut aspirer tout comme toi à avoir marre d'être femme 😄. Faut prévoir qu'à la longue même si on en voudrais on n'en trouvera plus 😉

Emilie Marcelin
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Voilà !
Merci d'avoir bien saisi l'idée !