Femme, la bière, ce n’est pas pour toi…

Article : Femme, la bière, ce n’est pas pour toi…
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18 novembre 2022

Femme, la bière, ce n’est pas pour toi…

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Chère Mina,


Cela fait environ deux jours que je n’ai pas eu tes nouvelles. Dis-donc ! C’est encore une maladie d’amour ? Ton bien-aimé a filé entre tes doigts ? Ou c’est à cause de la situation du pays? En tout cas, j’espère que tu te portes bien car, il faut toujours avoir une raison de vivre. De mon côté, ça va un peu mal. C’est peut-être bien à cause de ce qui m’est arrivé hier. C’est pourquoi je t’écris cette lettre à l’aube.


La ville n’a pas encore réveillé. Port-au-Prince est une ville qui se lève tard, sa rumeur aussi. L’air est frais. Il fait vivre. Mais mon cœur palpite au rythme du silence de cette ville abandonnée. Je suis triste comme une peau de chagrin. C’est vraiment important de partager ça avec toi. Je ne veux pas porter toute cette honte sans l’avoir écrite sur un bout de papier. Toi qui es toujours prête à m’écouter ; qui partages ma sensibilité, mes passions ; qui es toujours prête à discuter sur le Genre, les droits des femmes. Oui, je me suis dit pourquoi pas. Pourquoi ne pas t’informer de ce qui m’est arrivé hier.


Tu devrais être impatiente en disant qu’est-ce qui m’empêche de cracher le morceau. Je te connais très bien mon amie. Ben !voilà ce qui est arrivé. Hier j’étais avec Lui. Tu sais très bien de qui je parle. Le garçon que tu avais rencontré à Barack. Hier, je l’ai invité à prendre une bière parce que j’avais bien besoin la chaleur d’un homme. Tu sais très bien à quel point j’aime les garçons, bref…


Oui, j’étais avec Lui. Il était un peu réservé et timide. Il n’avait pas envie de consommer d’alcool. Nous avons commandé un jus et une Guinness. Sans poser de question, la serveuse a déposé la Guinness devant Lui et le jus devant moi. Je ne lui ai rien dit. Je lui ai donné juste un sourire qui sort de je ne sais d’où et je prends la Guinness. Lui n’avait pas rendu compte de ce qui est arrivé. Nous avons trinqué et continué notre conversation. Quand nous avons terminé, j’ai demandé à Lui s’il ne voulait pas d’autres choses. Non, m’a-t-il répondue. Moi qui voulais continuer ma belle danse avec la bière, j’ai commandé une autre, une Prestige. Pour une deuxième fois, sans rien demander, la serveuse a déposé la bière devant Lui. Je ne lui ai rien dit encore. Juste un sourire.

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J’ai demandé à Lui : à ton avis, pourquoi la serveuse a déposé la bière devant toi, tandis que c’est moi qui avais passé la commande ? Il m’a répondu que c’est peut-être parce que je suis une femme. Et l’alcool, on l’associe souvent à la virilité. Mina, tu vois ? Cette question de femme, ça nous suit partout. Elle n’est pas une simple étiquette qu’on nous colle. Ça renvoie à un cadre normatif. Elle structure le corps social. Elle dicte nos actions, nos comportements jusqu’à prescrire quelles boissons devons-nous boire.
En réfléchissant à la réponse de Lui. Je me rappelle le texte de Michel Onfray titré Antimanuel de philosophie. Ce Philosophe a consacré une partie du texte pour parler du goût. Il l’a présenté comme quelque chose qui n’est pas un donné naturel mais construit. Autrement dit, ce que nous aimons, par exemple une couleur, un genre musical, une boisson, n’est pas une chose allant de soi. Ceci est plutôt conditionné par des facteurs externes, sans même nous rendre compte.


Et du coup, je me rappelle également de mon amie Elsa qui, à chaque fois que nous trinquons lance ces phrases qui sonnent comme un sonnet :


Buvons de l’alcool !
Oui, Mesdames, buvons-le !
Juste pour nous affirmer ;
Pour avoir un brin de virilité ;
Et pour dire un allez-vous-en au patriarcat.


Elsa dit toujours ces phrases avec une élégance hors pairs. C’est en t’écrivant ces lignes que je me suis rendu compte qu’elle avait raison ; que ses paroles n’étaient pas des *pawòl tafya*( discours incensés). Elle avait compris bien plus que moi que la consommation de l’alcool est genrée. Et pour elle, boire de l’alcool est une forme de résistance ; un moyen pour se débarrasser des clichés qui lui pèsent en tant que femme. Mina, c’est maintenant que j’ai tout compris. Et j’ai bien envie de sortir dans la rue, à cette heure-ci ; de réveiller la ville, en levant ma bouteille et mon verre, disant à haute voix les fameuses phrases d’Elsa :


Buvons de l’alcool !
Oui, Mesdames, buvons-le !
Juste pour nous affirmer ;
Pour avoir un brin de virilité ;
Et pour dire un allez-vous-en au patriarcat.

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Commentaires

Rony PETIT
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Bonjour !
Je tiens à vous féliciter pour ce beau texte qui s'inscrit dans la démarche de renversement des habitus culturel s pourtant atteinte à la liberté des femmes de faire ce qu'elles désirent. Notre société, malheureusement, construit des systèmes de valeur qui maintiennent le patriarcat. Votre lutte est noble, et j'espère qu'un jour nous parviendrons à société égalitaire. Bon travail !

Emilie Marcelin
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Merci !

Reginald Rosemond
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Ça fait plaisir de te lire!
Merci

Emilie Marcelin
Répondre

Plus qu'un plaisir pour moi, monsieur !